SYNGUE SABOUR, d'Atiq RAHIMI

Publié le 13 Décembre 2008

Résumé : En persan, Syngué sabour est le nom d'une pierre noire magique, une pierre de patience, qui accueille la détresse de ceux qui se confient à elle. Certains, dans ce livre en tout cas, disent même que c'est elle qui est à La Mecque, et autour de quoi tournent les millions de pèlerins. Le jour où elle explosera d'avoir ainsi reçu trop de malheur, ce sera l'Apocalypse.

Mais ici, la Syngué sabour, c'est un homme allongé, comme décérébré après qu'une balle se soit logée dans sa nuque sans pour autant le tuer. Sa femme est auprès de lui. Elle lui en veut de l'avoir sacrifiée à la guerre, de n'avoir jamais résisté à l'appel des armes, d'avoir été un héros, et pour ce résultat : n'être plus à la suite d'une rixe banale qu'un légume. Pourtant elle le soigne, et elle lui parle. Elle lui parle même de plus en plus. Tandis que dans les rues les factions s'affrontent, tandis que des soldats pillent et tuent alentour, elle parle, elle dévide sa litanie sans jamais savoir si son mari l'entend et la comprend. Et c'est une extraordinaire confession sans retenue par quoi elle se libère de l'oppression conjugale, sociale, religieuse, allant jusqu'à révéler d'impensables secrets dans le contexte d'un pays semblable à l'Afghanistan. A la fin du livre cette Syngué sabour explosera...

                        

Mon humble avis: Enfin un Prix Goncourt qui se lise vite, avec facilité, sans se faire mousser le cerveau...
Heureusement d'ailleurs, car je l'ai lu l'après midi précédent ma "brève rencontre" avec l'auteur (voir article précédent). Les médias ne m'avaient pas particulièrement donner l'envie de me plonger dans ce livre. Et pourtant, et pourtant... Vient maintenant pour moi le difficile exercice d'en parler ici.
Ce livre est un bijou qui brille par lui même, comme un diamant brut ! Sans fioriture de style, sans décors grandiloquents, sans une foule de personnages inutiles. Un seul décor, une chambre spartiate par temps de guerre. Quelques personnages interviennent pour nous rappeler que, pendant ce huit clos entre deux personnes dans cette chambre vide, dehors, la vie et la  guerre continuent.
Au début, les phrases suivent le rythme de la respiration du mourant. Des phrases courtes, sèches, presque brutales. Il faut dire que ce souffle est l'obsession de la femme, qui vieille sur ce corps inerte. Elle y calque ses mouvements, ses prières, ses marmonnements. Puis, la femme commence à se confier à l'homme comateux qui devient ainsi sa Singue Sabour, sa pierre de patience. Ses confidences paraissent "générales" et peu surprenantes au début. Crainte, peur, amour... Puis elles deviennent colères, vengeances, provocations pour finir par l'aveu de l'inavouable.... Et le style s'en ressent. Un flot de phrases qui s'allongent, qui se déverse avec fluidité, qui quitte son lit étroit pour trouver la plénitude, la paix intérieure, la victoire sur un monde oppressant.
Tout est bouleversant dans ce livre. Pour moi, Singué Sabour est un hymne à la femme. La femme qui aime et qui déteste en même temps, la femme de devoir, dévouée qui soigne quoiqu'il en soit, la femme qui subit mais qui, en cachette, avec courage, se défend, tente de survivre et bafoue un ordre injuste. La femme qui n'a aucun droit mais qui a le devoir d'obéissance, le devoir de ne pas décevoir, mais qu'il ne faut surtout pas sous-estimer ! Et Atiq Rahimi réussit tantôt avec pudeur, tantôt avec cruauté et crudité, à nous toucher sur le destin de ses femmes d'Afghanistan ou d'ailleurs (comme spécifié sur la première page du roman). C'est comme s'il leur avait donné un stylo, du papier et une entière liberté pour se dire.
D'ailleurs, lorsque j'ai demandé à Atiq Rahimi pourquoi aucun des personnages n'étaient jamais prénommés, il m'a répondu que c'était pour respecter l'universalité recherchée dans ce roman. La femme pourrait donc s'appeler Fatima, Martine, Kelly, Coumba, Tatiana, Paloma... Elle est femme, avec ses craintes et ses forces. Cette justice rendue à la femme opprimée, venant d'un écrivain masculin et Afghan est tout à fait inattendue et sublimissime...
Enfin, ce livre m'a touchée d'une façon très personnelle également. Car, dans ces moments difficiles que je vis depuis janvier, j'aurais tant besoin d'une Singué Sabour...

Caminade et Midolla ont écrit un très beau billet sur ce livre.

                                                 

Rédigé par Géraldine

Publié dans #Littérature d'ailleurs

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S
Excellent livre, et j'aime beaucoup l'analyse que tu en fais. Alors, je ne savais pas que tu avais des soucis, je te souhaite de pouvoir les surmonter très vite, et si ton blog t'aide à aller mieux, c'est une bonne thérapie. Plein de bonnes ondes !
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G
<br /> Merci, disons que en ce moment mon blog est un peu ma singué sabour. Et la mobilisation autour de ma "quête" me fait du bien. j'explique un peu mes soucis de santé si tu veux voir sur une page de<br /> mon blog à droite intitulée AVC.... Je me remettrais, mais le chemin sera long et sinueux...<br /> Bon dimanche à toi !<br /> Au fait, t'es allé voir le site OVS ???<br /> <br /> <br />
J
Je viens de finir le bouquin : très bien écrit.Je l'ai trouvé un peu long...Je m'attendais à autre chose je pense. Je n'ai réussi à ressentir l'horreur de ce qu'a pu vivre cette femme qu'après avoir terminé le bouquin. J'ai juste l'impression que cette histoire est tellement loin de ce que je vis....Je pense Gégé que ta Singué Sabour est "ton blog"
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G
<br /> Je pense que tu me connais très bien ma Juju. C'est la seule chose qui me garde la tête hors de l'eau en ce moment !<br /> <br /> <br />
M
Tu m'as convaincue! Et pourtant, pour me convaincre de lire un Goncourt... mieux vaut s'accrocher!Bravo pour ton blog, je me retrouve assez dans ton approche. Et je suis mortellement jalouse de ton rôle de jurée pour le prix des lecteurs! Félicitations!
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G
<br /> Merci ! Et à bientôt sur la blogosphère !<br /> <br /> <br />
K
J'adore ton commentaire!  J'ai acheté le livre (et je l'ai fait dédicacer) au salon du livre et ton billet donne vraiment le goût de s'y plonger!
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G
<br /> J'attends donc ton billet avec impatience !<br /> <br /> <br />
L
C'est un joli billet qui donne envie de plonger dans ce roman ! :)
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G
<br /> C'est que c'est un beau livre qui, à mon goût, mérite grandement son prix !<br /> <br /> <br />
A
Je n'en doute pas! :) Et c'est ce que j'aime dans tes commentaires, c'est que, que tu aimes ou non, on sent que ça vient du coeur.
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G
<br /> Le pb est que c'est comme ça pour tous les domaines de ma vie, et que des fois, ça me joue des sales tours...<br /> <br /> <br />
A
Ca c'est du commentaire qui donne envie de découvrir ce livre! Je me le note donc.
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G
<br /> Et en plus, c'est même pas du commentaire hypocrite pour plaire à l'auteur. C'est du vrai, rien que du vrai !!!<br /> <br /> <br />
M
Excellent billet ! Je crois que ce roman restera très longtemps dans ma mémoire. C'est vraiment le genre de lecture qui marque la vie d'un lecteur.
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G
<br /> Je pense que tu as raison, mais si on se donnait RDV dans 10 ans....<br /> <br /> <br />
M
J'ai lu une interview sur  l'auteur ( sur télérama) qui m'a donné envie de découvrir son livre. Ton article confirme, cet homme défend les femmes et leur rend un bel hommage !Merci pour cet article.  Bon week-end. ! Nous avons de la neige ce matin dans le Lot !
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G
<br /> ciel bleu en Bretagne aujourd'hui !<br /> <br /> <br />
E
Ton commentaire me donne envie de le lire, alors je n'avais aucun à priori dessus avant! ET j'aime bien ce que l'auteur dit de l'universalité des personnages...
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G
<br /> Tu ne regretteras pas ta lecture !<br /> <br /> <br />
K
Tu en parles bien ; ce livre a d'ailleurs de bons articles sur les blogs et je le lirai ... quand je le verrai !Bon week end !
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G
<br /> C'est vraiment un beau livre, tu ne regretteras pas ta lecture !<br /> <br /> <br />